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pas le silence d’Amaïdée, douloureuse créature qui regardait le ciel, la mer, Altaï, Somegod, — qui regardait et qui ne voyait pas, pensée tout étonnée d’elle-même. Ses yeux ambrés, après avoir erré comme les regards farouches d’une biche égarée, se fixaient dans le vide, brillants au crépuscule comme un flot au fond duquel on aperçoit la fauve arène. Un châle, tissu chaud et suave, fragilité pleine d’harmonie avec ces fragilités plus grandes et plus précieuses encore qu’elle était destinée à protéger, et qui flottait dans l’air âpre et humide au-dessus de la mer éternelle, enveloppait à plis larges et hardis sa taille, autrefois si puissante, à présent brisée et amollie, les reins dont la chute voluptueuse gardait l’empreinte d’avoir faibli tant de fois sous les terrassements de l’étreinte, comme ceux de l’archange Lucifer sous la sandale divine de Michel. La vague élevait la voix autour de la nacelle attardée sur ses côtes, célèbres par plus d’un naufrage, et les pêcheurs qui rentraient au havre, passant auprès de cette barque dans le vent et dans la nuit, apercevaient, non sans une terreur superstitieuse, cette trinité intrépide et muette des solitaires de la montagne, qui n’avaient