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graver à l’eau-forte ou sur acier la vignette historique de l’anecdote ; il y a pis que l’absence d’esprit et de talent : c’est l’absence complète d’idées nobles, élevées, religieuses. C’est le mutisme du cœur. Nous sommes à chercher dans les historiettes un seul endroit où, sous la pression d’un fait quelconque, vibre le sentiment moral. Impossible de le découvrir. Ce bourgeois protestant, sceptique, athée peut-être, comme beaucoup d’honnêtes gens de ce temps-là, n’a pas même l’involontaire et beau respect qu’inspirent les grands hommes aux esprits bien faits qui adorent la gloire. Comment a-t-il traité Sully ? Si le mot est vrai qu’« il n’est pas de héros pour les valets de chambre », on dirait le livre de Tallemant écrit sur le rapport de laquais qui ont écouté aux portes et qui l’auraient renseigné. Ce livre rouge d’une police secrète faite par un homme qui s’était donné la mission redoutable de tout écrire de ce qu’il entendait dire tout haut ou tout bas dans les sociétés où on avait la bonté de le recevoir, ce livre, qui pouvait être quelque chose de grand, d’imposant, disons plus, de terrible, est tellement froid et le bavardage en est si visqueux, qu’on se demande en vain, quand on l’a lu, quel but autre que celui d’apaiser sa soif de sornettes eut des Réaux en l’écrivant ?

La vie de cet homme est mal connue. Mais il est bien probable que le livre qu’il écrivait tous les soirs et dont le mystère transpira, sans nul doute, dans les