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symbolisés par le derrière de Talleyrand, qui, au dire de Napoléon, recevait les coups de pied sans que son visage en dît rien. Lionne était, lui, de la race des susceptibles et des bouillants ; et c’est pourquoi, à part ces grandes manières qu’il avait et qui sont d’un immense emploi dans toutes les situations, il fut moins distingué et moins utile comme ambassadeur et ministre plénipotentiaire que comme secrétaire d’État et rédacteur éclatant de la pensée de son gouvernement.

Et d’ailleurs, si on y réfléchit, il n’y a peut-être que les négociateurs eux-mêmes qui puissent écrire, savoureusement et fructueusement, l’histoire de leurs négociations. Eux seuls peuvent mettre dans le compte rendu de celles dont ils furent chargés et dont ils s’acquittèrent le quelque chose d’humain, de passionné, de dramatique, inhérent à des démêlés et des complications d’intérêts qui eurent certainement leur sérieux, leur tragique, leur comique, leur variété, leur inattendu, comme toutes les choses de ce monde. Ainsi je conçois très bien les mémoires d’un cardinal Duperron ou d’un Talleyrand, et je regrette que Lionne n’ait pas écrit les siens. Mais qu’à deux siècles de distance un homme qui n’a pas le génie absolu qui devine, là où les autres sont obligés de chercher, puisse nous donner le dessous de cartes d’une négociation qu’il ne connaît que par une correspondance officielle, franchement, je ne crois pas à un tel homme… et, dans tous les cas, ce ne serait pas Valfrey, écrivain