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dans l’idolâtrie générale, ou dans cette effroyable indifférence qui est la seule manière pour les Chinois d’échapper à l’idolâtrie ! L’abbé Huc, dont les yeux sont froids et dont l’esprit, fait pour l’histoire, n’a aucune des illusions du prosélytisme, ne laisse sur ce point aucun doute. Même plus tard, quand les faits s’affermissent et se clarifient dans son récit, et prennent de ces certitudes qu’il n’est plus permis de discuter ; même au moment de ces merveilleux succès des Jésuites qui firent croire un jour à l’imagination européenne que la croix conquerrait l’Empire du Milieu, on s’enivrait trop d’une religieuse espérance… car trente-six mille chrétiens, au plus, sur trois cents millions d’âmes, n’étaient qu’une faible étincelle du feu qu’on croyait avoir allumé ! Toujours donc à la Chine le Christianisme fut un grand et glorieux peut-être, et voilà le secret de l’intérêt qu’elle inspire ! Aurait-elle pu devenir chrétienne ? Ne le sera-t-elle pas un jour ?… Oui ! avant tout, avant le détail du martyre et de l’héroïsme de ces missionnaires toujours prêts à mourir, avant l’ascendant de ces Jésuites qui furent si près du triomphe, et puis qui s’en trouvèrent si loin, ce qui fait, cà nos yeux, l’intérêt suprême de ce livre, c’est que le Christianisme à la Chine n’a jamais été qu’une question, — une question dont la solution se voile encore aux yeux les plus pénétrants, quand on reste dans les simples probabilités humaines de l’histoire !