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chargé, il ne pouvait laisser ce canot, qu’il avait fait lui-même, à un amarrage quelconque, où les gardes-côtes l’auraient surpris. Quand il l’eut déterré, il le porta à la mer, et pour cela il n’eut pas besoin de toute sa force. C’était une plume que ce canot. Il sauta sur cette plume, qui se mit à danser mollement sur la vague. Il était déjà redevenu « la Guêpe, » il allait redevenir « le Farfadet ! »

Il maintenait de sa rame, piquée dans le sol, la barque qui s’enlevait sur la vague comme un cheval ardent qui piaffe.

— Adieu, mademoiselle, et vous aussi, monsieur Juste Le Breton ! — nous dit-il, debout sur l’avant de sa barque, et il nous salua de la main.

— Quand nous reverrons-nous ? et même nous reverrons-nous ? Les paysans sont las ; la guerre fléchit ; ne parlent-ils pas là-bas de pacification encore ?… Il faudrait qu’un des Princes vînt ici pour tout rallumer… et il n’en viendra pas ! ajouta-t-il avec une expression méprisante qui me fit mal, et que j’ai bien des fois rencontrée sur les lèvres de serviteurs, pourtant fidèles, — et elle jeta un regard de reproche à son frère. — Je n’en amènerai pas un à cette côte, dans ce canot qui y apporta M. Jacques. Si cette guerre finit, que deviendrons-nous ? Du moins moi, qui ne suis propre qu’à la guerre.