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Nous devions revenir à Touffedelys par les Mielles, comme on appelle ces grèves, et en suivant la mer et sa longue ligne sinueuse. Quand nous sortîmes des terres labourées pour entrer dans les sables, la nuit était tombée et la lune avait eu le temps de se lever. C’était le chevalier qui nous menait, comme quelqu’un qui sait où il va. Avec son expérience de marin il connaissait, à une minute près, l’heure de la marée qui devait le porter en Angleterre. Nous avions pensé, sans avoir eu besoin de nous le dire, qu’il avait à son commandement quelque pêcheur dévoué sur cette côte écartée. Mais quel ne fut pas notre étonnement, quand la dernière dune que nous montâmes avec lui nous permit de découvrir la mer, battant son plein, brillante et calme, sur une ligne immense, mais profondément solitaire. Il n’y avait là ni un être vivant qui attendît Des Touches, ni une barque, couchée à la grève, qu’on pût mettre à flot, et qui pût l’emporter.

— Ah ! dit-il presque joyeusement, aujourd’hui je suis, par Dieu ! bien sûr qu’il n’y a pas d’espions dans la grève ! Depuis ma prison ils ont pu dormir et ils n’ont pas encore eu la nouvelle de ma délivrance, qui va les réveiller du péché de paresse. Ils me croient guillotiné de ce matin, et prennent campos, messieurs les gardes-côtes. »