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sation de piler ces corps sous leurs pieds leur donna, à tous les Onze, la même pensée, car tout en tapant, ils se mirent, tous les Onze, à chanter gaiement la vieille ronde normande.

Pilons, pilons, pilons l’herbe ;
L’herbe pilée reviendra !

Mais elle n’est pas revenue ! À Avranches, on vous montrera, si vous voulez, à cette heure encore, la place où ces rudes chanteurs combattirent. L’herbe n’a jamais repoussé à cette place. Le sang qui, là, trempa la terre était sans doute assez brûlant pour la dessécher.

Ils y tinrent à peu près deux heures… mais Cantilly avait le bras cassé, La Varesnerie la tête ouverte, Beaumont, les clavicules rompues, presque tous les autres blessés, plus ou moins, mais tous debout encore dans leurs vareuses, qui n’étaient plus blanches comme le matin, et qu’une rosée de sang poudrait maintenant, à la place de fleur de farine. Tout à coup M. Jacques tomba, au cri de joie de ces paysans électrisés qui crurent enfin avoir abattu un de ces blatiers du diable, solides comme des piliers, que l’on pouvait battre comme plâtre, mais qu’on ne pouvait renverser. M. Jacques n’était pas même blessé. Tout en combattant, il avait vu à la hauteur du soleil qui commençait à baisser et à prendre la place en écharpe, qu’il était