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plus et montrant une verve qui fit prendre à l’abbé son frère voluptueusement une prise de tabac, — pourtant l’affaire n’avait pas été mal menée, comme vous allez pouvoir en juger, monsieur de Fierdrap…

… C’est midi sonnant, au plus fort du tohu-bohu de la foire, que les Douze entrèrent dans Avranches. Ils y marchèrent d’abord vers le champ de foire, éparpillés, nonchalants, flânant, les bras ballants, guignant les sacs de blé ou de farine mis à cul sur le sol, déficelés et ouverts, pour que l’acheteur jugeât la marchandise, jouant leur rôle de blatiers qui ont le temps d’acheter, qui ne se pressent pas, qui attendent en vrais Normands que les prix fléchissent ; mais du fond de leurs grands chapeaux rabattus qui leur tombaient sur les épaules, se reconnaissant, se comptant, se coudoyant, et sentant le coude ami qui frémissait contre leur coude. Ils nous dirent plus tard ces détails et ces sensations… Il y avait, et cela leur parut de bon augure, un monde fou à la foire de cette année-là ! La ville encombrée était pleine de gens, d’animaux et de voitures de toute forme et de toute grandeur. Les auberges et les cabarets regorgeaient d’Augerons, de bouviers, de porchers qui amenaient leurs bêtes pour la foire, et dont les troupeaux s’amoncelaient dans les rues, rendant le passage