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Nous ne nous parlions pas, mais nous restions les mains étreintes à nous regarder fixement dans les yeux. Nous y lisions la même pensée, la question éternelle de l’inquiétude : « À présent que font-ils ? » cette question à laquelle on ne répond jamais, car si on pouvait y répondre, on ne la ferait pas, et ce ne serait plus l’inquiétude ! À quel travail de vrille cet horrible sentiment ne se livre-t-il pas dans nos cœurs ? Pour nous soustraire à ce rongement perpétuel, à ce creusement sur place, qu’on croit diminuer en s’agitant, nous allions ensemble sur la route qui passait au pied du château de Touffedelys, espérant y rencontrer quelque roulier, quelque marchand forain, quelque voyageur quelconque qui nous donnerait des nouvelles, qui nous parlerait de cette foire d’Avranches où se jouait un drame qui, pour nous, pouvait être une tragédie ! Mais ce mouvement que nous nous donnions était inutile.

Ceux qui, des paroisses circonvoisines, avaient eu affaire à la foire étaient passés et ils n’en revenaient pas encore ! Les routes étaient désertes. On ne voyait poindre personne au bout de leur long ruban blanc solitaire. Nulle âme qui vive n’apparaissait sur cette ligne droite qui s’enfonçait dans le lointain, et ne venait nous dire ce qui se faisait tout là-bas, derrière l’horizon, du côté de cette ville dont on