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farine à conduire ; arme effroyable, au manche durci au feu, faite de lanières de cuir tressées, avec une mordante courgée de six pouces, dont chaque coup creusait un sillon, et, à la main, ils avaient le pied de frêne familier à toute main normande, le bâton-massue de la Normandie, avec lequel des hommes de ce poignet et de cette vaillance auraient pris, Dieu me damne ! des pièces de canon !

C’est armés ainsi que nous les vîmes partir. Ils s’égrenèrent et disparurent isolément dans les bois, comme s’ils allaient à la pipée. Et ils y allaient en effet, à une pipée sanglante ! M. Jacques partit le dernier. Ses blessures, son amour pour Aimée, la pensée mystérieuse qui semblait lui manger le cœur, — car pourquoi être triste comme il l’était, avec l’amour d’Aimée, avec la possession certaine de cette merveille d’âme et de corps qui lui avait juré d’être sa femme à son retour ? — toutes ces choses avaient-elles énervé l’énergie, prouvée en tant de rencontres par M. Jacques ?… Sa belle fiancée alla le conduire à plus d’une demi-lieue dans les bois, jusqu’à ce vieil abreuvoir, où une source claire bleuissait sur un fond d’ardoises et qu’on appelait « la Fontaine-aux-Biches », parce qu’entre deux battements de cœur et dans le crochet d’une course forcée, les biches venaient en aspirer, en frissonnant, l’eau frisson-