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Il avait été pris ! Juste disait l’avoir vu entrer dans Avranches, porté au centre du bataillon des Bleus massés autour de lui, armes chargées. Il l’avait vu ayant aux poings des chaînes en fer au lieu de menottes, bâillonné avec une baïonnette qui lui coupait les coins de la bouche ; durement couché sur une civière de fusils, aux canons desquels on l’avait bouclé avec des ceinturons de sabre, et moins fou de fureur de tous ces supplices que de sentir contre son visage le contact du drapeau exécré de la République, dont, en marchant, ces Bleus insolents souffletaient, pour l’humilier, son front terrible. Certes, de tels gens défendraient avec acharnement le chevalier Des Touches contre ceux qui tenteraient de le leur reprendre ; mais il n’y avait en somme, avec eux, qu’une brigade de gendarmerie et une garde nationale mal armée, qui comptait, disait-on, un grand nombre de royalistes dans ses rangs. Enfin ce qui donnait surtout à nous autres le grand espoir de réussir, c’est qu’il allait y avoir le lendemain, à Avranches, une grande foire de bœufs et de chevaux qui durait trois jours, et que, d’une vingtaine de lieues à l’entour, il viendrait s’emplir et s’accumuler, dans cette petite ville proprette, une masse compacte de bêtes et de gens, qui rendrait la surveillance d’une police bien plus difficile, et qui devait augmenter épouvantable-