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tait davantage par les habitudes de son passé. Un Dandy est plus insulaire qu’un Anglais ; car la société de Londres ressemble à une île dans une île, et d’ailleurs il ne faut pas être trop souple pour y paraître distingué. Cependant, malgré sa réserve un peu orgueilleuse[1], il résistait moins aux avances quand on les faisait sous les apparences d’un bon dîner. Son amour de la table, fin comme un goût et exigeant comme une passion, avait toujours été un des côtés les plus développés de son sybaritisme. Cette sensualité, assez commune chez les hommes

    Byron fit l’honneur d’un écho dans un de ses poèmes : « Comme Napoléon en Russie, Brummell, apprenant le français, fut vaincu par les éléments. » C’est trop que cela, mais c’est une plaisanterie. Il resta, il est vrai, incorrect et Anglais dans notre langue, comme toutes ces bouches accoutumées à mâcher le caillou saxon et à parler au bord des mers ; mais sa manière de dire, corrigée par l’aristocratie, sinon par la propriété des mots, et ses manières de gentleman irréprochable, donnaient à ce qu’il disait une distinction étrange et étrangère, une originalité sérieuse, quoique piquante, et qui n’existait pas à ses dépens.

  1. Les Dandys ne brisent jamais complètement en eux le puritanisme originel. Leur grâce, si grande qu’elle soit, n’a point le dénoué de celle de Richelieu ; elle ne va jamais jusqu’à l’oubli de toute réserve. « À Londres, quand on est prévenant, dit le prince de Ligne, on passe pour étranger. »