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explication à donner du peu de mots qu’il a laissés. D’ailleurs, ces mots, à en juger par ceux que les Mémoires du temps ont rapportés, manquent pour nous de saveur ou en ont trop : ce qui est une manière d’en manquer encore. On y sent l’âpre influence du génie salin de ce peuple qui boxe et s’enivre et qui n’est pas grossier où nous, Français, cesserions d’être délicats. Qu’on y songe : ce que l’on appelle exclusivement esprit, dans les produits de la pensée, tenant essentiellement à la langue, aux mœurs, à la vie sociale, aux circonstances qui changent le plus de peuple à peuple, doit mourir dépaysé dans l’exil d’une traduction. Même les expressions qui le caractérisent pour chaque nation sont intraduisibles avec netteté dans la profondeur de sens qu’elles ont. Essayez, par exemple, de trouver des corrélatifs au wit, à l’humour, au fun, qui constituent l’esprit anglais dans son originale triplicité. Muable comme tout ce qui est individuel, l’es-

    salon, et moi je jouissais de l’opinion présumable qu’ils avaient de ma personne. J’ai pensé aux rois qui aiment à garder l’incognito. » Cette solitaire et orgueilleuse conscience de soi doit être inconnue aux Dandys. Le silence de Brummell était un moyen de plus de faire effet, la coquetterie taquine des êtres sûrs de plaire et qui savent par quel bout s’allume le désir.