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affectations d’une société quelconque, on rentre dans la vie humaine : on cesse d’être Dandy[1].

  1. Cessa-t-il même de l’être jamais ?… Un jour, un Vénitien qui se contentait d’être alors le Casanova de la musique et qui en est devenu le Gustave Planche, ― M. P. Scudo, présentement de la Revue des Deux Mondes, ― donnait à Caen un de ses concerts dans lesquels, comme mime et comme musicien, il dépensait un esprit à camper le tétanos aux imbéciles, si les imbéciles étaient nerveux. Il voulut avoir à sa soirée le Dandy exilé qui était encore une puissance rue Guillebert. L’ayant rencontré chez un ami, il l’invita, et tirant de sa poche son paquet de billets (à peu près trois cents) il l’ouvrit comme un jeu de cartes pour lui en offrir quelques-uns, quand souverainement, et avec la simplicité d’un Dandy à qui le monde appartient, Brummell les prit tous d’un seul geste ! « Il ne les paya jamais, dit M. Scudo, mais cela fut admirablement exécuté, et j’eus, pour mon argent, une idée de plus sur l’Angleterre. »

    C’est à peu de temps de là que Brummell devint fou, et comme le Dandysme, plus fort que sa raison, avait pénétré l’homme tout entier, sa folie se timbra de Dandysme. Il eut la rage de l’élégance au désespoir. Il n’ôtait plus son chapeau dans la rue quand on le saluait, de peur de déranger sa perruque, et il rendait le salut de la main comme Charles X. Il vivait à l’hôtel d’Angleterre. À certains jours, et au grand étonnement des gens de l’hôtel, il ordonnait qu’on lui préparât son appartement comme pour une fête. Lustres, candélabres, bougies, fleurs en masse, rien n’y manquait, et lui, sous le feu de toutes ces lumières, dans la grande tenue de sa jeunesse, avec l’habit bleu Whig à boutons d’or,