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faut que vous en ayez un bien puissant et bien subtil pour n’avoir pas peur de la belle Hermangarde de Polastron.

— J’en ai un ! » dit-elle d’un air mystérieux et fin, en mettant son doigt sur sa bouche, comme une des sorcières de Macbeth.

Se moquait-elle de lui ? ou, comme les femmes de son pays méridional, avait-elle quelque superstition à laquelle elle rattachait son union avec Marigny, et qui, pour elle, en sauvegardait la durée ? Elle avait, avec son front ténébreux, je ne sais quoi de sauvage, de bohémien, d’étrange. Elle chantait souvent une espèce de ballade en prose, qu’étant grosse d’elle sa mère avait entendue, un jour qu’elle avait donné l’aumône, sous le porche d’une église, à une Gitana accroupie qui la fixa de ses longs yeux de feu, tout en lui tendant sa main sèche. Elle ressemblait beaucoup à cette femme, lui avait répété sa mère. La ressemblance était-elle aussi à l’âme ? Et, comme la peuplade vagabonde à laquelle appartenait cette mendiante, l’amour des croyances merveilleuses asservissait-il sa pensée ?

Mais le vieux débauché du xviiie siècle ne vit rien de cette poésie muette, qui, par hasard, se rencontrait rue de Provence, numéro 46, au sein de la plus spirituelle et de la plus prosaïque des villes de la terre. Il ne vit dans tout