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il me fit la même question : « L’avez-vous toujours ? » me dit-il. Je savais de qui il parlait, et je répondis affirmativement. « Et moi aussi, — ajouta-t-il avec une tristesse qui me toucha, — je l’ai toujours… dans le cœur. » En était-elle sortie quand, plus tard, il mourut tué d’un coup d’épée, à propos d’une sotte question de lansquenet ? Quoi qu’il en soit, marquise, ce n’est pas une des moindres preuves de la puissance de Vellini, que d’avoir inspiré une passion si profonde pour rien à un dandy spirituel, opulent et qui avait passé toute sa vie à rire des passions malheureuses, comme le comte Alfred de Mareuil.

« Je restai, tout cet hiver-là, à Paris. Je prévoyais quelque nouveau duel avec sir Reginald Annesley ; mais, à mon grand étonnement, je n’entendis point parler de lui. Dans ma position à son égard, il ne me convenait pas plus de l’éviter que de le chercher. Je devais l’attendre ; il ne vint pas. J’appris qu’il se plongeait avec un redoublement de furie dans le jeu et dans les alcools. Il s’efforçait, sans doute, d’oublier cette femme qu’il avait épousée par folie de tête et de sens, et qui l’abandonnait pour un autre, à la première occasion. Vous l’avez vu, marquise, c’était un homme d’un tempérament énergique ; un fort mélange de Normand et de Saxon. Comment