Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/189

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

j’eus tiré, comme s’il avait méprisé l’avantage de tirer sur moi sans danger pour lui. Il hésitait, tenant toujours son arme baissée.

« — Tire ! et tue-le donc, — fit l’implacable Malagaise. — Qu’attends-tu ?

« Et moi, ne voulant pas être en reste devant cet homme qui hésitait avec grandeur, je marchai carrément vers lui, en lui présentant toute la largeur de ma poitrine, et, par là, je le forçai à lever son arme, car il eût répugné à me tuer à bout portant. Le fils des premiers flibustiers du monde n’avait jamais manqué son coup. Il cligna de l’œil, fit feu d’une main ferme et m’étendit à ses pieds.

« La balle m’avait traversé de part en part.

« Je ne sais combien de temps je demeurai sans connaissance, mais quand je repris mes sens, je me trouvai dans mon appartement, en proie à une fièvre intense et à d’intolérables douleurs. Mes témoins m’avaient transporté chez moi. Ils me montraient un zèle affectueux qui s’élevait jusqu’au dévouement ; le comte de Mareuil surtout. Je le connaissais bien plus que le comte de Cérisy. Le temps que je passai sur mon lit de tortures, il vint me voir presque tous les jours. Fatalement, je lui parlai de la Malagaise. Son image, sa pensée ne me quittaient plus. Pendant la nuit, si ce que je souffrais ne m’empêchait pas de dormir, je la voyais