Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/161

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’essayais de reconnaître en lui l’être éblouissant de mouvement et d’entrain qui avait éclaté au souper, mais il avait comme éteint le cercle qui avait flamboyé autour de sa tête tout le soir, et je le comparais à cet autre être froid, indifférent et muet qui lui avait succédé. Elle avait repris sa pose rigide d’avant souper, auprès de la cheminée. Elle n’inclinait pas le front sous sa rêverie fixe et vide de pensée… et elle me rappelait ces lions chimériques accroupis dans les cours de marbre de l’Alhambra, qui portent, sur leurs têtes de tigre, la vasque froide d’une fontaine sans eau. Eh bien ! le croirez-vous, marquise ? de ces deux femmes, c’était la dernière que maintenant je préférais. Oui, c’était l’être sans rayons, la petite femme jaune et maigre de la calèche, que j’avais, la veille, au boulevard, presque écrasée de mon dédain ! Il est des amours qui corrompent tout dans les âmes. Le mien commençait de jeter en moi de ces aveuglements qui endurcissent à la lumière… qui nous la font nier et insulter. Je comprenais alors cet homme qui préférait à tout, dans la maîtresse de sa vie, la raie élargie des cheveux tombés, ce pauvre sillon qu’il eût voulu ensemencer de ses baisers et de ses larmes ! J’arrivais, comme cet homme, et en combien de temps ? à ne plus aimer que ce qu’il y avait de moins beau dans l’être aimé.