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couverte tout entière. Comme ces femmes du Midi, habiles aux dissimulations les plus profondes et pour les maris de qui Machiavel écrivait, la duchesse de Cadaval-Aveïro ne s’évanouit pas ; elle resta droite et impassible sous ce fumant manteau de pourpre qui cacha sa honte par la manière dont elle le porta. On la vit attendre la fin du spectacle ; mais quand elle fut retournée à son palais et qu’elle eut envoyé chercher sa fille, — la petite Vellini, — qu’elle teignit du sang de son père mal séché encore à ses vêtements et à ses bras, elle s’évanouit et l’évanouissement dura deux jours. Après cela, on comprend que veuve de son toréador au fond de son âme, elle dut se venger par toutes les furies de l’amour maternel de la monstrueuse et sublime hypocrisie à laquelle son rang de duchesse et de femme mariée l’avait contrainte aux yeux de tout un cirque espagnol. Elle n’eut plus de bonheur que par cette enfant dont elle devint l’esclave et qu’elle aima de cet amour terrible qui abolit la vie et divinise l’être aimé. La petite Vellini fut élevée comme si elle avait eu pour dot le revenu de trois provinces. On ne lui apprit rien. Elle grandit comme il plut à Dieu. On ne lui dit pas que souvent la vie est plus forte que la volonté, plus impérieuse que le désir. Elle fut obéie, servie, caressée, dans une inaction