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bout de la maison. Je les réchauffais, ces pieds glacés pour moi, qui peut-être ramassaient, pour moi, en sortant d’un lit chaud, quelque horrible maladie de poitrine… Je savais le moyen de les tiédir et d’y mettre du rose ou du vermillon, à ces pieds pâles et froids ; mais cette nuit-là mon moyen manqua… Ma bouche fut impuissante à attirer sur ce cou-de-pied cambré et charmant la plaque de sang que j’aimais souvent à y mettre, comme une rosette ponceau… Alberte, cette nuit-là, était plus silencieusement amoureuse que jamais. Ses étreintes avaient cette langueur et cette force qui étaient pour moi un langage, et un langage si expressif que, si je lui parlais toujours, moi, si je lui disais toutes mes démences et toutes mes ivresses, je ne lui demandais plus de me répondre et de me parler. À ses étreintes, je l’entendais. Tout à coup, je ne l’entendis plus. Ses bras cessèrent de me presser sur son cœur, et je crus à une de ces pâmoisons comme elle en avait souvent, quoique ordinairement elle gardât, en ses pâmoisons, la force crispée de l’étreinte… Nous ne sommes pas des bégueules entre nous. Nous sommes deux hommes, et nous pouvons nous parler comme deux hommes… J’avais l’expérience des spasmes voluptueux d’Alberte, et quand ils la prenaient, ils n’interrompaient pas mes caresses. Je restais