Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/82

Cette page a été validée par deux contributeurs.

aurait retenti de son choc et qui eût pu les réveiller.

— Ah ! — fis-je, — on n’est pas plus brave à la tranchée. Elle était digne d’être la maîtresse d’un soldat !

— Et elle le fut dès cette première nuit-là, — reprit le vicomte. — Elle le fut aussi violente que moi, et je vous jure que je l’étais ! Mais c’est égal… voici la revanche ! Elle ni moi ne pûmes oublier, dans les plus vifs de nos transports, l’épouvantable situation qu’elle nous faisait à tous les deux. Au sein de ce bonheur qu’elle venait chercher et m’offrir, elle était alors comme stupéfiée de l’acte qu’elle accomplissait d’une volonté pourtant si ferme, avec un acharnement si obstiné. Je ne m’en étonnai pas. Je l’étais bien, moi, stupéfié ! J’avais bien, sans le lui dire et sans le lui montrer, la plus effroyable anxiété dans le cœur, pendant qu’elle me pressait à m’étouffer sur le sien. J’écoutais, à travers ses soupirs, à travers ses baisers, à travers le terrifiant silence qui pesait sur cette maison endormie et confiante, une chose horrible : c’est si sa mère ne s’éveillait pas, si son père ne se levait pas ! Et jusque par-dessus son épaule, je regardais derrière elle si cette porte, dont elle n’avait pas ôté la clé, par peur du bruit qu’elle pouvait faire, n’allait pas s’ouvrir de nouveau et me montrer, pâles et indignées,