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main, et cela me parut long ; mais enfin il arriva, ce dîner ! L’attisante main, dont je sentais le contact sur ma main depuis vingt-quatre heures, ne manqua pas de revenir chercher la mienne, comme la veille, par-dessous la table. Mlle Alberte sentit mon billet et le prit très bien, comme je l’avais prévu. Mais ce que je n’avais pas prévu, c’est qu’avec cet air d’Infante qui défiait tout par sa hauteur d’indifférence, elle le plongea dans le cœur de son corsage, où elle releva une dentelle repliée, d’un petit mouvement sec, et tout cela avec un naturel et une telle prestesse, que sa mère qui, les yeux baissés sur ce qu’elle faisait, servait le potage, ne s’aperçut de rien, et que son imbécile de père, qui lurait toujours quelque chose en pensant à son violon, quand il n’en jouait pas, n’y vit que du feu. »

— Nous n’y voyons jamais que cela, capitaine ! — interrompis-je gaîment, car son histoire me faisait l’effet de tourner un peu vite à une leste aventure de garnison ; mais je ne me doutais pas de ce qui allait suivre !  — Tenez ! pas plus tard que quelques jours, il y avait à l’Opéra, dans une loge à côté de la mienne, une femme probablement dans le genre de votre demoiselle Alberte. Elle avait plus de dix-huit ans, par exemple ; mais je vous donne ma parole d’honneur que j’ai vu rarement de femme