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singulier dans une jeune fille aussi jeune qu’elle, car c’était une espèce d’air impassible, très difficile à caractériser. Elle ne l’aurait pas eu qu’on aurait dit : « Voilà une belle fille ! » et on n’y aurait pas plus pensé qu’à toutes les belles filles qu’on rencontre par hasard, et dont on dit cela, pour n’y plus penser jamais après. Mais cet air… qui la séparait, non pas seulement de ses parents, mais de tous les autres, dont elle semblait n’avoir ni les passions, ni les sentiments, vous clouait… de surprise, sur place… L’Infante à l’épagneul, de Velasquez, pourrait, si vous la connaissez, vous donner une idée de cet air-là, qui n’était ni fier, ni méprisant, ni dédaigneux, non ! mais tout simplement impassible, car l’air fier, méprisant, dédaigneux, dit aux gens qu’ils existent, puisqu’on prend la peine de les dédaigner ou de les mépriser, tandis que cet air-ci dit tranquillement : « Pour moi, vous n’existez même pas. » J’avoue que cette physionomie me fit faire, ce premier jour et bien d’autres, la question qui pour moi est encore aujourd’hui insoluble : comment cette grande fille-là était-elle sortie de ce gros bonhomme en redingote jaune vert et à gilet blanc, qui avait une figure couleur des confitures de sa femme, une loupe sur la nuque, laquelle débordait sa cravate de mousseline brodée, et qui bredouillait ?… Et si le mari