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comme l’avare, et je comprenais très bien les dévots qui s’arrangent sur cette terre comme on s’arrange dans un coupe-gorge où l’on n’a qu’à passer une nuit. Rien ne ressemble plus à un moine qu’un soldat, et j’étais soldat ! C’est ainsi que je m’arrangeais de ma garnison. Hors les heures des repas que je prenais avec les personnes qui me louaient mon appartement et dont je vous parlerai tout à l’heure, et celles du service et des manœuvres de chaque jour, je vivais la plus grande partie de mon temps chez moi, couché sur un grand diable de canapé de maroquin bleu sombre, dont la fraîcheur me faisait l’effet d’un bain froid après l’exercice, et je ne m’en relevais que pour aller faire des armes et quelques parties d’impériale chez mon ami d’en face : Louis de Meung, lequel était moins oisif que moi, car il avait ramassé parmi les grisettes de la ville une assez jolie petite fille, qu’il avait prise pour maîtresse, et qui lui servait, disait-il, à tuer le temps… Mais ce que je connaissais de la femme ne me poussait pas beaucoup à imiter mon ami Louis. Ce que j’en savais, je l’avais vulgairement appris, là où les élèves de Saint-Cyr l’apprennent les jours de sortie… Et puis, il y a des tempéraments qui s’éveillent tard… Est-ce que vous n’avez pas connu Saint-Rémy, le plus mauvais sujet de toute une ville, célèbre par