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me suis enfuie de Sierra-Leone, j’ai emporté avec moi le portrait du duc, pour lui faire voir, à ce portrait, comme si ç’avait été à lui-même, les hontes de ma vie ! Que de fois je lui ai dit, comme s’il avait pu me voir et m’entendre : « Regarde donc ! regarde ! » Et quand l’horreur me prend dans vos bras, à tous vous autres, — car elle m’y prend toujours : je ne puis pas m’accoutumer au goût de cette fange ! — j’ai pour ressource ce bracelet, — et elle leva son bras superbe d’un mouvement tragique ; — j’ai ce cercle de feu, qui me brûle jusqu’à la moelle et que je garde à mon bras, malgré le supplice de l’y porter, pour que je ne puisse jamais oublier le bourreau d’Esteban, pour que son image excite mes transports, — ces transports d’une haine vengeresse, que les hommes sont assez bêtes et assez fats pour croire du plaisir qu’ils savent donner ! Je ne sais pas ce que vous êtes, vous, mais vous n’êtes certainement pas le premier venu parmi tous ces hommes ; et cependant vous avez cru, il n’y a qu’un instant, que j’étais encore une créature humaine, qu’il y avait encore une fibre qui vibrait en moi ; et il n’y avait en moi que l’idée de venger Esteban du monstre dont voici l’image ! Ah ! son image, c’était pour moi comme le coup de l’éperon, large comme un sabre, que le cavalier arabe enfonce dans le