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apprenne comment sa femme, la duchesse de Sierra-Leone, aura vécu, et comment elle meurt ! »

Tressignies n’avait pas pensé à cette profondeur dans la vengeance, qui dépassait tout ce que l’histoire lui avait appris. Ni l’Italie du xvie siècle, ni la Corse de tous les âges, ces pays renommés pour l’implacabilité de leurs ressentiments, n’offraient à sa mémoire un exemple de combinaison plus réfléchie et plus terrible que celle de cette femme, qui se vengeait à même elle, à même son corps comme à même son âme ! Il était effrayé de ce sublime horrible, car l’intensité dans les sentiments, poussée à ce point, est sublime. Seulement, c’est le sublime de l’enfer.

« Et quand il ne le saurait pas, — reprit-elle encore, redoublant d’éclairs sur son âme, — moi, après tout, je le saurais ! Je saurais ce que je fais chaque soir, — que je bois cette fange, et que c’est du nectar, puisque c’est ma vengeance !… Est-ce que je ne jouis pas, à chaque minute, de la pensée de ce que je suis ?… Est-ce qu’au moment où je le déshonore, ce duc altier, je n’ai pas, au fond de ma pensée, l’idée enivrante que je le déshonore ? Est-ce que je ne vois pas clairement dans ma pensée tout ce qu’il souffrirait s’il le savait ?… Ah ! les sentiments comme les miens ont leur folie, mais c’est leur folie qui fait le bonheur ! Quand je