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morte de ne plus le voir, et je m’étais exposée à cette terrible chance. Mais puisque lui, le duc, mon mari, ne m’avait pas comprise, puisqu’il se croyait si au dessus de Vasconcellos qu’il lui paraissait impossible que celui-ci élevât les yeux et son hommage jusqu’à moi, je ne poussai pas plus loin l’héroïsme conjugal contre un amour qui était mon maître… Je n’essaierai pas de vous donner l’idée exacte de cet amour. Vous ne me croiriez peut-être pas, vous non plus… Mais qu’importe, après tout, ce que vous penserez ! Croyez-moi, ou ne me croyez pas ! ce fut un amour tout à la fois brûlant et chaste, un amour chevaleresque, romanesque, presque idéal, presque mystique. Il est vrai que nous avions vingt ans à peine, et que nous étions du pays des Bivar, d’Ignace de Loyola et de sainte Thérèse. Ignace, ce chevalier de la Vierge, n’aimait pas plus purement la Reine des cieux que ne m’aimait Vasconcellos ; et moi, de mon côté, j’avais pour lui quelque chose de cet amour extatique que sainte Thérèse avait pour son Époux divin. L’adultère, fi donc ! Est-ce que nous pensions que nous pouvions être adultères ? Le cœur battait si haut dans nos poitrines, nous vivions dans une atmosphère de sentiments si transcendants et si élevés, que nous ne sentions en nous rien des mauvais désirs et des sensualités