Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/447

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cette femme allait lui raconter de ces choses comme il n’en avait pas entendu encore. Il ne pensait plus à sa beauté. Il la regardait comme s’il avait désiré assister à l’autopsie de son cadavre. Allait-elle le faire revivre pour lui ?…

— Oui, — reprit-elle, — j’ai voulu bien des fois déjà la raconter à ceux qui montent ici ; mais ils n’y montent pas, disent-ils, pour écouter des histoires. Lorsque je la leur commençais, ils m’interrompaient ou ils s’en allaient, brutes repues de ce qu’elles étaient venues chercher ! Indifférents, moqueurs, insultants, ils m’appelaient menteuse ou bien folle. Ils ne me croyaient pas, tandis que vous, vous me croirez. Vous, vous m’avez vue à Saint-Jean-de-Luz, dans toutes les gloires d’une femme heureuse, au plus haut sommet de la vie, portant comme un diadème ce nom de Sierra-Leone que je traîne maintenant à la queue de ma robe dans toutes les fanges, comme on traînait à la queue d’un cheval, autrefois, le blason d’un chevalier déshonoré. Ce nom, que je hais et dont je ne me pare que pour l’avilir, est encore porté par le plus grand seigneur des Espagnes et le plus orgueilleux de tous ceux qui ont le privilège de rester couverts devant Sa Majesté le Roi, car il se croit dix fois plus noble que le roi. Pour le duc d’Arcos de Sierra-Leone, que sont toutes les plus illustres maisons qui ont régné