Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/43

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— À mettre à la pile de toutes les autres, capitaine ! Seulement, ici, le Joseph était militaire… un Joseph qui n’aura pas fui…

— Qui a parfaitement fui, au contraire, — repartit-il, du plus grand sang-froid, — quoique trop tard et avec une peur !!! Avec une peur à me faire comprendre la phrase du maréchal Ney que j’ai entendue de mes deux oreilles et qui, venant d’un pareil homme, m’a, je l’avoue, un peu soulagé : « Je voudrais bien savoir quel est le Jean-f..... (il lâcha le mot tout au long) qui dit n’avoir jamais eu peur !… »

— Une histoire dans laquelle vous avez eu cette sensation-là doit être fameusement intéressante, capitaine !

— Pardieu ! — fit-il brusquement, — je puis bien, si vous en êtes curieux, vous la raconter, cette histoire, qui a été un événement, mordant sur ma vie comme un acide sur de l’acier, et qui a marqué à jamais d’une tache noire tous mes plaisirs de mauvais sujet… Ah ! ce n’est pas toujours profit que d’être un mauvais sujet ! — ajouta-t-il, avec une mélancolie qui me frappa dans ce luron formidable que je croyais doublé de cuivre comme un brick grec.

Et il releva la glace qu’il avait baissée, soit qu’il craignît que les sons de sa voix ne s’en allassent par là, et qu’on n’entendît, du dehors,