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mis la femme dont il était le maître ?… Il n’était guère possible qu’il ne s’aperçût de quelque chose. J’ai vu parfois son œil d’émeraude passer au noir de l’escarboucle, en regardant tel de nous que l’opinion du moment soupçonnait d’être l’amant de sa moitié ; mais il se contenait… Et, comme on pensait toujours de lui ce qu’il y avait de plus insultant, on imputait son calme indifférent ou son aveuglément volontaire à des motifs de la plus abjecte espèce. On pensait que sa femme était encore moins un piédestal à sa vanité qu’une échelle à son ambition. Cela se disait comme ces choses-là se disent, et il ne les entendait pas. Moi qui avais des raisons pour l’observer, et qui trouvais sans justice la haine et le mépris qu’on lui portait, je me demandais s’il y avait plus de faiblesse que de force, ou de force que de faiblesse, dans l’attitude sombrement impassible de cet homme, trahi journellement par sa maîtresse, et qui ne laissait rien paraître des morsures de sa jalousie. Par Dieu ! nous avons tous, messieurs, connu de ces hommes assez fanatisés d’une femme pour croire en elle, quand tout l’accuse, et qui, au lieu de se venger quand la certitude absolue d’une trahison pénètre dans leur âme, préfèrent s’enfoncer dans leur bonheur lâche, et en tirer, comme une couverture par-dessus leur tête, l’ignominie !