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Rosalba ne l’eût jamais dit. Si on lui eût adressé la même question, elle se serait enfuie en cachant son visage divinement pourpre dans ses mains divinement rosées. Seulement, soyez bien sûrs qu’en s’en allant, il y aurait eu par derrière à sa robe un pli dans lequel auraient niché toutes les tentations de l’enfer !

« Telle donc elle était, cette Rosalba, dont le visage de vierge nous pipa tous, quand elle arriva au régiment. Le major Ydow aurait pu nous la présenter comme sa femme légitime, et même comme sa fille, que nous l’aurions cru. Quoique ses yeux d’un bleu limpide fussent magnifiques, ils n’étaient jamais plus beaux que quand ils étaient baissés. L’expression des paupières l’emportait sur l’expression du regard. Pour des gens qui avaient roulé la guerre et les femmes, et quelles femmes ! ce fut une sensation nouvelle que cette créature à qui, comme on dit avec une expression vulgaire, mais énergique, « on aurait donné le bon Dieu sans confession ». Quelle sacrée jolie fille ! se soufflaient à l’oreille les anciens, les vieux routiers ; mais quelle mijaurée ! Comment s’y prend-elle pour rendre le major heureux ?… Il le savait, lui, et il ne le disait pas… Il buvait son bonheur en silence, comme les vrais ivrognes, qui boivent seuls. Il ne renseignait personne sur la félicité cachée qui le rendait discret et fidèle