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un large ruban rouge qui lui traversait sa face bronzée. « Tu portes, — lui disait Mesnil au jour de leurs communes ambitions, — ta croix de grand-officier de la Légion-d’honneur sur la figure, avant de l’avoir sur la poitrine ; mais sois tranquille, elle y descendra. »

Elle n’y était pas descendue ; l’Empire avait fini avant. Sélune n’était que chevalier.

— Eh bien, messieurs, — continua Mesnilgrand, — nous avons vu des choses bien atroces en Espagne, n’est-ce pas ? et même nous en avons fait ; mais je ne crois pas avoir vu rien de plus abominable que ce que je vais avoir l’honneur de vous raconter.

— Pour mon compte, — dit nonchalamment Sélune, avec la fatuité d’un vieil endurci qui n’entend pas qu’on l’émeuve de rien, — pour mon compte, j’ai vu un jour quatre-vingts religieuses jetées l’une sur l’autre, à moitié mortes, dans un puits, après avoir été préalablement très bien violées chacune par deux escadrons.

— Brutalité de soldats ! — fit Mesnilgrand froidement ; — mais voici du raffinement d’officier.

Il trempa sa lèvre dans son verre, et son regard cerclant la table et l’étreignant :

— Y a-t-il quelqu’un d’entre vous, messieurs, — demanda-t-il, — qui ait connu le major Ydow ?

Personne ne répondit, excepté Rançonnet.

— Il y a moi, — dit-il. — Le major Ydow ! si je