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Ceux qui l’ont faite, cette guerre-là, ne l’ont pas oubliée, et toi, par parenthèse, moins que personne, commandant Sélune ! Tu en as le souvenir gravé assez avant sur la figure pour que tu ne puisses pas l’effacer.

Le commandant Sélune, assis auprès du vieux M. de Mesnilgrand, faisait face à Mesnil. C’était un homme d’une forte stature militaire et qui méritait de s’appeler le Balafré encore plus que le duc de Guise, car il avait reçu en Espagne, dans une affaire d’avant-poste, un immense coup de sabre courbe, si bien appliqué sur sa figure qu’elle en avait été fendue, nez et tout, en écharpe, de la tempe gauche jusqu’au-dessous de l’oreille droite. À l’état normal, ce n’aurait été qu’une terrible blessure d’un assez noble effet sur le visage d’un soldat ; mais le chirurgien qui avait rapproché les lèvres de cette plaie béante, pressé ou maladroit, les avait mal rejointes, et à la guerre comme à la guerre ! On était en marche, et, pour en finir plus vite, il avait coupé avec des ciseaux le bourrelet de chair qui débordait de deux doigts l’un des côtés de la plaie fermée ; ce qui fit, non pas un sillon dans le visage de Sélune, mais un épouvantable ravin. C’était horrible, mais, après tout, grandiose. Quand le sang montait au visage de Sélune, qui était violent, la blessure rougissait, et c’était comme