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drogues, et il vendait ou donnait ses breuvages, — car bien souvent il les donnait, — à condition pourtant qu’on lui en rapportât les bouteilles. Ce coquin, qui n’était pas un sot, savait intéresser les passions de ses malades à sa médecine. Il donnait du vin blanc, mêlé à je ne sais quelles herbailles, aux hydropiques par ivrognerie, et aux filles embarrassées, — disaient les paysans en clignant de l’œil, — des tisanes qui tout de même faisaient fondre leurs embarras. C’était un homme de taille moyenne, de mine frigide et discrète, vêtu dans le genre du vieux M. de Mesnilgrand (mais en bleu), portant, autour d’une figure de la couleur du lin qui n’a pas été blanchi, des cheveux en rond (la seule chose qu’il eût gardée du prêtre) d’une odieuse nuance filasse, et droits comme des chandelles ; peu parleur, et compendieux quand il se mettait à parler. Froid et propret comme la crémaillère d’une cheminée hollandaise, en ces dîners où l’on disait tout et où il sirotait mièvrement son vin dans son angle de table quand les autres lampaient le leur, il plaisait peu à ces bouillants, qui le comparaient à du vin tourné de Sainte-Nitouche, un vignoble de leur invention. Mais cet air-là ne donna que plus de ragoût à son histoire, quand il dit modestement que, pour lui, ce qu’il avait fait de mieux contre l’infâme de M. de Voltaire,