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Si vous saviez ce que j’ai risqué, pour obtenir ce flacon d’une femme qui disait m’aimer !… J’ai un ami, comme moi officier dans l’armée anglaise, et revenu comme moi des Indes où il a passé sept ans. Il a cherché ce poison avec le désir furieux d’une fantaisie anglaise, — et plus tard, quand vous aurez vécu davantage, vous comprendrez ce que c’est. Eh bien ! il n’a jamais pu en trouver. Il a acheté, au prix de l’or, d’indignes contrefaçons. De désespoir, il m’a écrit d’Angleterre, et il m’a envoyé une de ses bagues, en me suppliant d’y verser quelques gouttes de ce nectar de la mort. Voilà ce que je faisais quand vous êtes entré.

« Ce qu’il me disait ne m’étonnait pas. Les hommes sont ainsi faits, que, sans aucun mauvais dessein, sans pensée sinistre, ils aiment à avoir du poison chez eux, comme ils aiment à avoir des armes. Ils thésaurisent les moyens d’extermination autour d’eux, comme les avares thésaurisent les richesses. Les uns disent : Si je voulais détruire ! comme les autres : Si je voulais jouir ! C’est le même idéalisme enfantin. Enfant, moi-même, à cette époque, je trouvai tout simple que Marmor de Karkoël, revenu des Indes, possédât cette curiosité d’un poison comme il n’en existe pas ailleurs, et, parmi ses kandjars et ses flèches, apportés au fond de sa malle d’officier, ce flacon de pierre