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tées avec lequel on est sûr de gagner la dernière partie contre le Destin.

« — Quelle espèce de poison ? — lui demandai-je, en prenant le flacon dont la forme bizarre m’attirait.

« — C’est le plus admirable des poisons indiens, — me répondit-il en ôtant son masque. — Le respirer peut être mortel, et, de quelque manière qu’on l’absorbe, s’il ne tue pas immédiatement, vous ne perdez rien pour attendre ; son effet est aussi sûr qu’il est caché. Il attaque lentement, presque languissamment, mais infailliblement, la vie dans ses sources, en les pénétrant et en développant, au fond des organes sur lesquels il se jette, de ces maladies connues de tous et dont les symptômes, familiers à la science, dépayseraient le soupçon et répondraient à l’accusation d’empoisonnement, si une telle accusation pouvait exister. On dit, aux Indes, que des fakirs mendiants le composent avec des substances extrêmement rares, qu’eux seuls connaissent et qu’on ne trouve que sur les plateaux du Thibet. Il dissout les liens de la vie plus qu’il ne les rompt. En cela, il convient davantage à ces natures d’Indiens, apathiques et molles, qui aiment la mort comme un sommeil et s’y laissent tomber comme sur un lit de lotos. Il est fort difficile, du reste, presque impossible de s’en procurer.