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cha pas d’enlever la barricade et d’aller jusqu’à la Madeleine, à la tête de ses hommes enthousiasmés. Là, deux femmes en calèche, qui fuyaient Paris insurgé, voyant un officier de la Garde blessé, couvert de sang et couché sur les blocs de pierre qui entouraient, à cette époque-là, l’église de la Madeleine à laquelle on travaillait encore, mirent leur voiture à sa disposition, et il se fit mener par elles au Gros-Caillou, où se trouvait alors le maréchal de Raguse, à qui il dit militairement : « Maréchal, j’en ai peut-être pour deux heures ; mais pendant ces deux heures-là, mettez-moi partout où vous voudrez ! » Seulement il se trompait… Il en avait pour plus de deux heures. La balle qui l’avait traversé ne le tua pas. C’est plus de quinze ans après que je l’avais connu, et il prétendait alors, au mépris de la médecine et de son médecin, qui lui avait expressément défendu de boire tout le temps qu’avait duré la fièvre de sa blessure, qu’il ne s’était sauvé d’une mort certaine qu’en buvant du vin de Bordeaux.

Et en en buvant, comme il en buvait ! car, dandy en tout, il l’était dans sa manière de boire comme dans tout le reste… il buvait comme un Polonais. Il s’était fait faire un splendide verre en cristal de Bohême, qui jaugeait, Dieu me damne ! une bouteille de bordeaux tout entière, et il le buvait d’une haleine !