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le whist. C’était le whist qu’ils avaient jeté, pour le combler, dans l’abîme sans fond de leurs jours vides. Ils le jouaient après leur dîner, tous les soirs, jusqu’à minuit ou une heure du matin, ce qui est une vraie saturnale pour la province. Il y avait la partie du marquis de Saint-Albans, qui était l’événement de chaque journée. Le marquis semblait être le seigneur féodal de tous ces nobles, et ils l’entouraient de cette considération respectueuse qui vaut une auréole, quand ceux qui la témoignent la méritent.

« Le marquis était très fort au whist. Il avait soixante-dix-neuf ans. Avec qui n’avait-il pas joué ?… Il avait joué avec Maurepas, avec le comte d’Artois lui-même, habile au whist comme à la paume, avec le prince de Polignac, avec l’évêque Louis de Rohan, avec Cagliostro, avec le prince de la Lippe, avec Fox, avec Dundas, avec Sheridan, avec le prince de Galles, avec Talleyrand, avec le Diable, quand il se donnait à tous les diables, aux plus mauvais jours de l’émigration. Il lui fallait donc des adversaires dignes de lui. D’ordinaire, les Anglais reçus par la noblesse fournissaient leur contingent de forces à cette partie, dont on parlait comme d’une institution et qu’on appelait le whist de M. de Saint-Albans, comme on aurait dit, à la cour, le whist du Roi.