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planant regard, on pouvait l’embrasser tout entier. »

Ici, il fit une légère pause. Il exprimait un fait tellement humain, d’une telle expérience d’imagination pour ceux qui en ont un peu, que pas un contradicteur ne s’éleva. Tous les visages peignaient la curiosité la plus vive. La jeune Sibylle, qui était pliée en deux aux pieds du lit de repos où s’étendait sa mère, se rapprocha d’elle avec une crispation de terreur, comme si l’on eût glissé un aspic entre sa plate poitrine d’enfant et son corset.

— Empêche-le, maman, — dit-elle, avec la familiarité d’une enfant gâtée, élevée pour être une despote, — de nous dire ces atroces histoires qui font frémir.

— Je me tairai, si vous le voulez, mademoiselle Sibylle, — répondit celui qu’elle n’avait pas nommé, dans sa familiarité naïve et presque tendre.

Lui, qui vivait si près de cette jeune âme, en connaissait les curiosités et les peurs ; car, pour toutes choses, elle avait l’espèce d’émotion que l’on a quand on plonge les pieds dans un bain plus froid que la température, et qui coupe l’haleine à mesure qu’on entre dans la saisissante fraîcheur de son eau.

— Sibylle n’a pas la prétention, que je sache, d’imposer silence à mes amis, — fit la