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je suis Hauteclaire, Hauteclaire heureuse d’avoir été servante pour lui… » Je pensais qu’elle avait été bien autre chose ; mais comme j’étais le seul du pays qui fût allé à Savigny, quand ils y revinrent, j’avais toute honte bue, et je finis par y aller beaucoup. Je puis dire que je continuai de m’acharner à regarder et à percer dans l’intimité de ces deux êtres, si complètement heureux par l’amour. Eh bien ! vous me croirez si vous voulez, mon cher, la pureté de ce bonheur, souillé par un crime dont j’étais sûr, je ne l’ai pas vue, je ne dirai pas ternie, mais assombrie une seule minute dans un seul jour. Cette boue d’un crime lâche qui n’avait pas eu le courage d’être sanglant, je n’en ai pas une seule fois aperçu la tache sur l’azur de leur bonheur ! C’est à terrasser, n’est-il pas vrai ? tous les moralistes de la terre, qui ont inventé le bel axiome du vice puni et de la vertu récompensée ! Abandonnés et solitaires comme ils l’étaient, ne voyant que moi, avec lequel ils ne se gênaient pas plus qu’avec un médecin devenu presque un ami, à force de hantises, ils ne se surveillaient point. Ils m’oubliaient et vivaient très bien, moi présent, dans l’enivrement d’une passion à laquelle je n’ai rien à comparer, voyez-vous, dans tous les souvenirs de ma vie… Vous venez d’en être le témoin il n’y a qu’un moment : ils sont passés