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les deux ans d’usage, et que Savigny porta de manière à confirmer l’idée publique qu’il était le plus excellent des maris, passés, présents et futurs… Pendant ces deux ans, il ne vit absolument personne. Il s’enterra dans son château avec une telle rigueur de solitude, que personne ne sut qu’il avait gardé à Savigny Eulalie, la cause involontaire de la mort de la comtesse et qu’il aurait dû, par convenance seule, mettre à la porte, même dans la certitude de son innocence. Cette imprudence de garder chez soi une telle fille, après une telle catastrophe, me prouvait la passion insensée que j’avais toujours soupçonnée dans Serlon. Aussi ne fus-je nullement surpris quand un jour, en revenant d’une de mes tournées de médecin, je rencontrai un domestique sur la route de Savigny, à qui je demandai des nouvelles de ce qui se passait au château, et qui m’apprit qu’Eulalie y était toujours… À l’indifférence avec laquelle il me dit cela, je vis que personne, parmi les gens du comte, ne se doutait qu’Eulalie fût sa maîtresse. « Ils jouent toujours serré, — me dis-je. — Mais pourquoi ne s’en vont-ils pas du pays ? Le comte est riche. Il peut vivre grandement partout. Pourquoi ne pas filer avec cette belle diablesse (en fait de diablesse, je croyais à celle-là) qui, pour le mieux crocheter, a préféré vivre dans la maison