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fait. Ils sont heureux exceptionnellement, et insolemment heureux. Je suis bien vieux, et j’ai vu dans ma vie bien des bonheurs qui n’ont pas duré ; mais je n’ai vu que celui-là qui fût aussi profond, et qui dure toujours !

« Et croyez que je l’ai bien étudié, bien scruté, bien perscruté ! Croyez que j’ai bien cherché la petite bête dans ce bonheur-là ! Je vous demande pardon de l’expression, mais je puis dire que je l’ai pouillé… J’ai mis les deux pieds et les deux yeux aussi avant que j’ai pu dans la vie de ces deux êtres, pour voir s’il n’y avait pas à leur étonnant et révoltant bonheur un défaut, une cassure, si petite qu’elle fût, à quelque endroit caché ; mais je n’ai jamais rien trouvé qu’une félicité à faire envie, et qui serait une excellente et triomphante plaisanterie du Diable contre Dieu, s’il y avait un Dieu et un Diable ! Après la mort de la comtesse, je demeurai, comme vous le pensez bien, en bons termes avec Savigny. Puisque j’avais fait tant que de prêter l’appui de mon affirmation à la fable imaginée par eux pour expliquer l’empoisonnement, ils n’avaient pas d’intérêt à m’écarter, et moi j’en avais un très grand à connaître ce qui allait suivre, ce qu’ils allaient faire, ce qu’ils allaient devenir. J’étais horripilé, mais je bravais mes horripilations… Ce qui suivit, ce fut d’abord le deuil de Savigny, lequel dura