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les domestiques étaient tout aussi trompés que la comtesse. Ils prenaient Hauteclaire de très bonne foi pour une des leurs, et j’en aurais été pour mes frais de curiosité sans un hasard qui, comme toujours, en fit plus, en une fois, que toutes mes combinaisons, et m’en apprit plus que tous mes espionnages.

« Il y avait plus de deux mois que j’allais voir la comtesse, dont la santé ne s’améliorait pas et présentait de plus en plus les symptômes de cette débilitation si commune maintenant, et que les médecins de ce temps énervé ont appelée du nom d’anémie. Savigny et Hauteclaire continuaient de jouer, avec la même perfection, la très difficile comédie que mon arrivée et ma présence en ce château n’avaient pas déconcertée. Néanmoins, on eût dit qu’il y avait un peu de fatigue dans les acteurs. Serlon avait maigri, et j’avais entendu dire à V… : « Quel bon mari que ce M. de Savigny ! Il est déjà tout changé de la maladie de sa femme. Quelle belle chose donc que de s’aimer ! » Hauteclaire, à la beauté immobile, avait les yeux battus, pas battus comme on les a quand ils ont pleuré, car ces yeux-là n’ont peut-être jamais pleuré de leur vie ; mais ils l’étaient comme quand on a beaucoup veillé, et n’en brillaient que plus ardents, du fond de leur cercle violâtre. Cette maigreur de Savigny, du