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— Diable ! voilà qui est osé ! — dis-je au docteur.

— Si osé, — reprit-il, — que je crus rêver en la voyant ! La comtesse avait prié son mari de sonner sa femme de chambre, à qui elle avait demandé avant mon arrivée une potion que je venais précisément de lui conseiller ; — et, quelques secondes après, la porte s’était ouverte :

« — Eulalie, et ma potion ? — dit, d’un ton bref, la comtesse impatiente.

« — La voici, madame ! — fit une voix que je crus reconnaître, et qui n’eut pas plutôt frappé mon oreille que je vis émerger de l’ombre qui noyait le pourtour profond du parloir, et s’avancer au bord du cercle lumineux tracé par la lampe autour du lit, Hauteclaire Stassin ; — oui, Hauteclaire elle-même ! — tenant, dans ses belles mains, un plateau d’argent sur lequel fumait le bol demandé par la comtesse. C’était à couper la respiration qu’une telle vue ! Eulalie !… Heureusement, ce nom d’Eulalie prononcé si naturellement me dit tout, et fut comme le coup d’un marteau de glace qui me fit rentrer dans un sang-froid que j’allais perdre, et dans mon attitude passive de médecin et d’observateur. Hauteclaire, devenue Eulalie, et la femme de chambre de la comtesse de Savigny !… Son déguisement — si tant est qu’une femme pareille pût se déguiser — était complet. Elle portait le cos-