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vaincue du temps, comme ma race ; je me meurs, mais je vous méprise ! » et, le diable m’emporte, tout plébéien que je suis, et quoique ce soit peu philosophique, je ne puis m’empêcher de trouver cela beau. La comtesse était couchée sur un lit de repos, dans une espèce de parloir à poutrelles noires et à murs blancs, très vaste, très élevé, et orné de choses d’art ancien qui faisaient le plus grand honneur au goût des comtes de Savigny. Une seule lampe éclairait cette grande pièce, et sa lumière, rendue plus mystérieuse par l’abat-jour vert qui la voilait, tombait sur le visage de la comtesse, aux pommettes incendiées par la fièvre. Il y avait quelques jours déjà qu’elle était malade, et Savigny — pour la veiller mieux — avait fait dresser un petit lit dans le parloir, auprès du lit de sa bien-aimée moitié. C’est quand la fièvre, plus tenace que tous ses soins, avait montré un acharnement sur lequel il ne comptait pas, qu’il avait pris le parti de m’envoyer chercher. Il était là, le dos au feu, debout, l’air sombre et inquiet, à me faire croire qu’il aimait passionnément sa femme et qu’il la croyait en danger. Mais l’inquiétude dont son front était chargé n’était pas pour elle, mais pour une autre, que je ne soupçonnais pas au château de Savigny, et dont la vue m’étonna jusqu’à l’éblouissement. C’était Hauteclaire !