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— Eh bien ! pas du tout, — dit le docteur ; — c’était mieux que cela ! Vous ne vous douteriez jamais de ce que c’était…

« Outre qu’en province, surtout, un enlèvement n’est pas chose facile au point de vue du secret, le comte de Savigny, depuis son mariage, n’avait pas bougé de son château de Savigny.

« Il y vivait, au su de tout le monde, dans l’intimité d’un mariage qui ressemblait à une lune de miel indéfiniment prolongée, — et comme tout se cite et se cote en province, on le citait et on le cotait, Savigny, comme un de ces maris qu’il faut brûler, tant ils sont rares (plaisanterie de province), pour en jeter la cendre sur les autres. Dieu sait combien de temps j’aurais été dupe, moi-même, de cette réputation, si, un jour, — plus d’un an après la disparition de Hauteclaire Stassin, — je n’avais été appelé, en termes pressants, au château de Savigny, dont la châtelaine était malade. Je partis immédiatement, et, dès mon arrivée, je fus introduit auprès de la comtesse, qui était effectivement très souffrante d’un mal vague et compliqué, plus dangereux qu’une maladie sévèrement caractérisée. C’était une de ces femmes de vieille race, épuisée, élégante, distinguée, hautaine, et qui, du fond de leur pâleur et de leur maigreur, semblent dire : « Je suis