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jeunes d’une génération, qui n’avaient pas cultivé, comme on le cultivait autrefois, un art aussi compliqué et aussi difficile que l’escrime ; et tous montrèrent un tel enthousiasme pour ce maniement de l’épée, la gloire de nos pères, qu’un ancien prévôt du régiment, qui avait fait trois ou quatre fois son temps et dont le bras était couvert de chevrons, s’imagina que ce serait une bonne place pour y finir ses jours qu’une salle d’armes qu’on ouvrirait à V… ; et le colonel, à qui il communiqua et qui approuva son dessein, lui délivra son congé et l’y laissa. Ce prévôt, qui s’appelait Stassin en son nom de famille, et La Pointe-au-corps en son surnom de guerre, avait eu là tout simplement une idée de génie. Depuis longtemps, il n’y avait plus à V… de salle d’armes correctement tenue ; et c’était même une de ces choses dont on ne parlait qu’avec mélancolie entre ces nobles, obligés de donner eux-mêmes des leçons à leurs fils ou de les leur faire donner par quelque compagnon revenu du service, qui savait à peine ou qui savait mal ce qu’il enseignait. Les habitants de V… se piquaient d’être difficiles. Ils avaient réellement le feu sacré. Il ne leur suffisait pas de tuer leur homme ; ils voulaient le tuer savamment et artistement, par principes. Il fallait, avant tout, pour eux, qu’un homme,