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« pourquoi pas ? » dit à propos de l’homme qu’on aime et dont on doute, se leva en moi… Ce que j’éprouvais, j’eus la force de le cacher à cette cruelle enfant, qui avait peut-être deviné l’amour de sa mère.

« — M. de Ravila ! — fis-je, avec une voix qui me semblait dire tout, — mais tu ne lui parles jamais ? » — Tu le fuis, — j’allais ajouter, car la colère commençait ; je la sentais venir… Vous êtes donc bien faux tous les deux ? — Mais je réprimai cela… Ne fallait-il pas que je susse les détails, un par un, de cette horrible séduction ?… Et je les lui demandai avec une douceur dont je crus mourir, quand elle m’ôta de cet étau, de ce supplice, en me disant naïvement :

« — Mère, c’était un soir. Il était dans le grand fauteuil qui est au coin de la cheminée, en face de la causeuse. Il y resta longtemps, puis il se leva, et moi j’eus le malheur d’aller m’asseoir après lui dans ce fauteuil qu’il avait quitté. Oh ! maman !… c’est comme si j’étais tombée dans du feu. Je voulais me lever, je ne pus pas… le cœur me manqua ! et je sentis… tiens ! là, maman… que ce que j’avais… c’était un enfant !… »

La marquise avait ri, dit Ravila, quand elle lui avait raconté cette histoire ; mais aucune des douze femmes qui étaient autour de cette table ne songea à rire, — ni Ravila non plus.