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engagée à l’Odéon, puis à Rouen, toujours avec le rôle d’Agnès, puis enfin, il y a quatre ans, aux Variétés, sur la foi des souvenirs qu’elle a laissés dans le rôle d’Agnès.

À Rouen, elle a joué à elle seule (pas sur la scène) une longue et admirable comédie qui la fait deviner tout entière. Deux hommes, très-spirituels tous les deux, s’étaient associés pour diriger le théâtre. Aimée officiellement du plus âgé, elle se laissait aimer en cachette par l’autre. Pendant trois années elle a dirigé le théâtre sous leurs noms ; ni l’un ni l’autre ne se douta jamais de son influence, tant ils la voyaient stupide ! Mais inspirant, sans avoir l’air d’y toucher, toutes les résolutions, la prudence la mieux éveillée échouait contre les regards de ses yeux de faïence, et elle multipliait les traits de génie avec autant de prodigalité que les coq-à-l’âne. Comment les deux directeurs ne se sont-ils pas aperçus qu’elle les jouait tous deux ? Et lorsqu’ils s’abordaient, chacun voulant obtenir de son associé une augmentation ou un bénéfice pour l’adorée, comment n’ont-ils pas éclairci le quiproquo ? Et plus tard, comment Irma Caron a-t-elle dompté les auteurs dramatiques, la presse, tout le monstre parisien ?

C’est qu’elle possède cette force supérieure à la vapeur, à l’électricité et au génie qui les emploie, cette force faute de laquelle les poëtes vont mourir à l’hôpital ou à la porte de l’hôpital : la douce, l’immaculée, l’immuable, la triomphante et sereine Bêtise.