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d’un jeune premier scrupuleusement ganté de gants à quatre francs cinquante centimes. Eh bien, le lendemain du soir où cet artiste dramatique avait marché vivant dans son rêve étoilé, il pouvait raconter à ses amis la plus étrange histoire. Au moment où mademoiselle Caron avait donné sa réplique dans cette éternelle et touchante comédie de l’Oaristis ; au moment où Diane avait fui courroucée, tandis que les ailes sans tache tombaient en poussière et où le berger avait pu s’écrier, ivre de son idylle : « Te voilà femme maintenant, et chère à Aphrodite ! » à cet instant suprême que l’on se rappelle, dit un poëte, même après que l’on a oublié le nom de son pays et le nom de sa mère, Irma n’avait pas sourcillé ; le plus insaisissable éclair d’émotion n’avait pas traversé son visage ; elle avait gardé la sérénité impossible de ces nymphes de pierre qui, depuis trois cents ans, renversent leurs urnes inépuisables dans les bassins murmurants des fontaines.

Voici quelques-uns de ses mots : il y en aurait mille.

Mademoiselle O… disait au foyer à mademoiselle Caron, en lui parlant d’un homme à bonnes fortunes déjà mûr, et plus connu comme vaudevilliste que comme employé au ministère des finances :

— Oh ! ma chère, prends garde à V…. il est bien ennuyeux, va ! c’est un homme qui est pendu toute la journée après une femme !

— Allons donc ! répondit Irma, il ne peut pas, puisqu’il a un bureau !

Irma se figure l’univers comme une ligne droite, partant de Paris pour aboutir à un point, qui, pour elle, reste dans le vague. Comme un des rois de la fashion venait lui faire sa visite d’adieu :

— Vous partez, dit-elle, est-ce que vous allez loin ?